L’écoute organisationnelle : le lien manquant dans la communication publique
L’écoute organisationnelle : le lien manquant dans la communication publique
Cette conférence a été présentée par le Professeur Jim Macnamara le 25 février 2022 et diffusée par la chaîne YouTube Sydney Lectures. L’audience de cette présentation était composée de collègues d’Australie du Professeur et d’étudiants au doctorat.
Jim Macnamara, Professeur émérite en communication publique de l’Université de Technologie de Sydney (UTS) travaille depuis deux ans comme doyen adjoint de la faculté des sciences de cette même université avec des scientifiques pour faire avancer les recherches en communication. Le Professeur Macnamara s’est intéressé à la communication en organisation, car il avait remarqué qu’elle est très différente d’un domaine à un autre. À travers cette conférence, une bonne partie de l’exposé est dédiée à la méthodologie de sa recherche ainsi qu’à ses défis et aux difficultés rencontrées à créer une telle recherche. Il fait d’ailleurs connaître les dessous de son étude pour enfin en exprimer les résultats.
Pourquoi développer une recherche sur l’écoute organisationnelle, s’est-t-il fait demander par sa faculté ? S’intéressant à l’écoute au sein des organisations et ayant remarqué que la majorité des études réalisées portait plutôt sur l’écoute interpersonnelle (en petits groupes), le Professeur Macnamara a décidé de démarrer un projet de recherche sur l’écoute organisationnelle. Cette dernière eut lieu entre 2014 et 2019. Son étude est composée de trois projets différents. Les résultats de sa revue littéraire (2013 – 2014) démontrent que l’écoute organisationnelle est une compétence sous-étudiée et sous-développée, que ce soit dans le domaine de la politique, des relations publiques, des médias numériques et sociaux, de la communication à l’interne d’une organisation ainsi qu’au sein des entreprises.
Le sujet de l’étude du Professeur Macnamara porte principalement sur comment apporter la voix de la population aux organisations : sans écoute, la voix n’a pas de valeur. Il explique que nous sommes très éduqués en tant qu’individu et/ou organisation à communiquer, et ce, pas uniquement verbalement ; nous sommes formés à produire et à distribuer de l’information. Toutefois, qu’en est-il de l’apprentissage des outils pour écouter en organisation ? Selon Jim, l’écoute se définit par la reconnaissance, l’acceptation, l’intérêt, la compréhension et la considération de la parole de tous sans être sélectif de l’information qui est transmise, tout en y accordant une réponse adéquate selon le contexte établi.
Les défis et les enjeux
En organisation, l’écoute se fait à une plus grande échelle : clients, employés, citoyens, électeurs dont ces derniers ne s’expriment pas tous en même temps. C’est donc aux dirigeants des organisations à déléguer l’écoute de ces populations (la prise de parole) à des groupes tels qu’au département des ressources humaines, aux équipes de recherche de marché qui conduisent les focus groupes, aux équipes qui contrôlent les médias sociaux, aux responsables des relations publiques, au service de relation avec les clients et aux équipes en charge de la correspondance ou des plaintes, dont ces derniers transmettront à leur tour aux dirigeants les voix écoutées. Par exemple, parmi les organisations que le chercheur a interviewées, la majorité d’entre elles exprimaient de bien écouter. En poussant la question, Jim a découvert que ces dernières sont plutôt à l’écoute principalement de leur conseil d’administration ou des grands syndicats, et non des voix du grand public.
La méthodologie entreprise par le Professeur Macnamara afin de rechercher comment les organisations écoutent la voix des populations dans les différentes organisations se démarque par trois techniques : des entretiens approfondis avec des cadres supérieurs liés à la communication pour observer si l’écoute est déléguée (certains d’entre eux présumaient même être chefs de l’écoute) ; l’analyse du contenu de nombreux documents pour valider les informations reçues par les organisations (plusieurs d’entre-elles affirmaient avoir fait de la communication et de la consultation publique) ; et des expériences sur le terrain.
Voici en 3 étapes le projet de recherche du Professeur Macnamara :
La première étape : étude de 2 ans, au sein de 36 organisations (composées d’entreprises et de gouvernements aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie), impliquant 104 entretiens, de nombreuses observations sur le terrain sur 5 mois et plus de 400 documents ayant eu leur contenu analysé (2015 – 2016). Résultats : en moyenne, 80 % de la communication organisationnelle était vouée à produire, distribuer ou diffuser de l’information (publicité, communiqué de presse, site internet, publication sur les réseaux sociaux, brochure); et lorsque l’écoute semblait présente, la plupart des dirigeants posaient plutôt des questions auxquelles ils souhaitaient avoir une réponse, sans réellement être à l’écoute de ce que les gens avaient envie de partager. Conclusion intéressante : malgré la nécessité des personnes, des technologies et d’outils pour écouter au niveau organisationnel, les données ont démontré que les organisations avec les meilleures technologies (outils et systèmes développés pour écouter) et avec les plus gros budgets n’étaient pas nécessairement les meilleures pour écouter. La caractéristique commune des organisations qui se démarquaient pour leur écoute est la culture de l’organisation : l’ouverture à vouloir écouter tout en croyant réellement que cette écoute sera bénéfique à l’organisation.
La deuxième étape : étude sur 6 mois, au sein du service de communication du gouvernement britannique à Londres, comptant plus de 320 entretiens (2016). Jim a été contacté par le service de communication afin qu’il puisse les aider à mieux écouter. Il a travaillé auprès de 17 ministères du gouvernement, en se promenant de l’Écosse au Pays de Galles, en visitant entre autres les principaux hôpitaux du NHS (service national de santé) pour y rencontrer les PDG et les gestionnaires. Résultats : les médias sociaux étaient en changement, considérés comme des informations numériques où l’écoute sociale commençait à prendre sa place. Toutefois décevante réalité, car le focus était ciblé majoritairement sur les campagnes électorales. Aussi, en 2016, le gouvernement a fait 57 consultations publiques majeures. Toutefois, en visant les mêmes principales organisations et lobbyistes, sans sensibilisation et sans prendre en considération la diversité (groupes marginalisés ou groupes défavorisés). Pourtant, les gouvernements savent qu’ils doivent écouter parce qu’il s’agit de démocratie (la voix du peuple) : un gouvernement qui n’écoute pas est reconnu comme agissant de manière non éthique. Conclusion choquante : quelques occasions perdues de ne pas avoir écouté : en 2015, 1 an avant la présence du Professeur et de sa recherche, le NHS avait reçu à la suite d’une consultation publique 127 400 réponses alors qu’habituellement le service reçoit que 3 000 réponses. C’était juste avant l’annonce du sondage pour le Brexit. Ces documents répondus comptent environ 8 à 12 pages chacun (soit 1 million de pages au total). N’ayant pas les ressources nécessaires (pas de logiciel comme des outils d’analyse de texte), le service national de santé ne lut que quelques réponses ainsi qu’un court rapport remis 4 semaines plus tard à la direction. C’est donc avec l’aide de l’Université de Sussex, qui développait à ce moment-là un programme sophistiqué d’analyse textuelle appelé Méthode 52, que l’équipe de Jim réussit à analyser les 127 400 réponses. Si le gouvernement avait pu/su bien écouter, il n’aurait jamais appelé le référendum.
Troisième étape : étude menée au sein de la coopérative européenne, Achmea (assurances et finances) et ses 3 filiales (2018 – 2019). La mutuelle, qui compte 10 millions de clients, 14 500 employés et un réseau de distribution de 250 agents et courtiers indépendants (partenaires commerciaux), cherchait à comprendre comment mieux écouter ses membres et quels seraient les coûts/bénéfices rattachés à cet exercice. Le Professeur a donc choisi, avec son équipe, d’identifier parmi tous les appels reçus à la mutuelle par année (1 million d’appels), d’identifier les 10 principales raisons pour lesquelles les clients étaient mécontents (appelés détracteurs) pour ensuite les appeler un à la fois. Résultats : après avoir rejoint tous les détracteurs, 21,5 % passaient de détracteurs à passifs, 29,9 % sont restés détracteurs, 48,6 % sont devenus clients promoteurs ; d’où l’importance de la reconnaissance et de répondre aux gens. Jim souligne qu’il ne s’agit pas nécessairement de résoudre le problème, mais bien de porter attention. Conclusion stupéfiante : à poursuivre avec cette stratégie, ce sont 30 millions de dollars américains qui seraient à gagner chaque année pour la mutuelle (estimation en fonction de la tendance des détracteurs à promoteurs en tenant compte des dépenses reliées à l’exercice de rappeler les clients mécontents).
En conclusion, une des plus grandes découvertes de la recherche du Professeur est qu’aucune des organisations avec lesquelles il a travaillé n’avait réellement d’outils d’analyse de texte ou de contenu. Lorsque l’on pense à la voix des clients, la voix des personnes, la voix des parties prenantes, les gens parlent et s’expriment par des mots et non par des chiffres. Par la recherche qualitative, les organisations doivent être outillées pour analyser les commentaires qu’elles reçoivent. Les organisations doivent donc se doter de logiciels d’analyse de texte, d’outils et de formation afin de pouvoir rapporter efficacement et précisément les voix du public aux dirigeants par les équipes déléguées. Dans l’ensemble, l’écoute organisationnelle comprend plusieurs avantages tangibles ainsi que des avantages éthiques et moraux. Il est temps d’aller au-delà des méthodes de recherche courantes telles que les groupes de discussion et/ou sondages et plutôt acquérir l’utilisation de méthodes avancées de recherche et d’engagement.
*Le masculin est utilisé pour faciliter l’écriture et la lecture
Traduction et résumé par Marie-Hélène Dagenais pour pop collabo
Révision : Marie-Julie Chaput – Novembre 2022