FUNAMBULE DE L’URGENCE – UN ENTRETIEN AVEC STÉPHANE, RÉPARTITEUR 911 ☎️
FUNAMBULE DE L’URGENCE - UN ENTRETIEN AVEC STÉPHANE, RÉPARTITEUR 911 ☎️
Quand Stéphane a débuté sa carrière de répartiteur au 911, il y a une quinzaine d’années, il ne s’attendait pas à gérer une telle diversité de situations. En tant que premier répondant, il décroche pour des cas allant des accidents graves aux chicanes de ménage bruyantes, en passant par des crises personnelles et des préoccupations quotidiennes comme un embouteillage ou un vélo volé.
Son travail repose principalement sur deux piliers : l’écoute et l’intervention directe. Bien que ces compétences soient distinctes, elles s’entrelacent inévitablement dans l’exercice de ses fonctions. Savoir reconnaître et composer avec l’urgence est crucial, et Stéphane prend le temps de nous en parler.
LIRE ENTRE LES LIGNES

« Mon rôle, c’est d’agir vite », explique Stéphane. « Lorsqu’un appel arrive, il y a souvent une urgence qui nécessite l’envoi rapide d’une équipe. Mais avant cela, je dois comprendre ce qui se passe. » En tant que répartiteur d’urgence, il doit poser les bonnes questions à des personnes souvent confuses. « Parfois, les gens ne parlent pas directement de ce qui ne va pas. Il faut repérer les signes : une situation vague peut cacher une détresse grave. »
Bien sûr, il faut faire preuve de bienveillance, mais avec le volume d’appels que reçoit le 911, les répartiteur·trices n’ont souvent pas le luxe de tourner autour du pot. Si Julie, dans l’entretien précédent (Retrouver son cap), parlait d’amener la personne à se recentrer grâce à des techniques d’écoute active, Stéphane doit évaluer rapidement si une situation requiert une intervention urgente. « Ce n’est pas dans l’appel téléphonique qu’on va appliquer des techniques d’intervention plus subtiles. D’office, c’est d’envoyer les policiers. »
Il parle de ces « drapeaux rouges » qui surgissent parfois au fil d’une conversation, des indices qui peuvent révéler qu'une personne est en danger pour elle-même ou autrui. « Si je sens qu'il y a un risque immédiat, je n’hésite pas à poser des questions difficiles, comme "avez-vous des idées noires ?" ou "pensez-vous au suicide ?". »
CHAQUE SECONDE COMPTE
L’écoute est la première étape pour évaluer la situation. « On ne voit pas la personne, on ne la touche pas, mais on l’écoute », précise Stéphane. Il se remémore un appel où la personne semblait détachée, un peu perdue. En creusant, il a compris qu'elle se trouvait dans une voiture avec un tuyau relié à l'échappement. Dans ces moments critiques, l’écoute devient vitale pour maintenir la personne en ligne jusqu’à l’arrivée des secours. Puis, à l’autre bout du fil, Stéphane entend enfin les sirènes de la police… juste à temps.
Les appels liés aux pensées suicidaires sont de plus en plus fréquents, un phénomène qui inquiète Stéphane, car il reflète une détresse croissante dans la société. « C’est rare qu’il y ait une journée sans ce genre d’appel. » D’où l’importance d’offrir des espaces de confiance où les appelant·es se sentent à l’aise de partager sans jugement, comme dans les centres d’écoute téléphonique.
SAVOIR QUAND AGIR
Stéphane décrit les limites de son métier. Parfois, trop d’écoute peut être contre-productif. « Il y a des moments où l'on doit intervenir tout de suite. Si une personne est hésitante à parler, mais que tout laisse penser qu’elle est en danger, l’attente peut aggraver la situation. » Cependant, il est conscient qu’intervenir trop rapidement sans avoir écouté assez pourrait également poser des problèmes, notamment en envoyant des équipes dans des situations mal évaluées.
Pour ces décisions rapides, lui et ses collègues utilisent un système de codes de couleurs pour évaluer l’urgence des interventions. Rouge pour une intervention immédiate, vert pour un suivi plus tard. « Ces codes nous aident à garder une vue d'ensemble tout en gérant la pression des appels », explique-t-il. Dans ces zones grises, le jugement est crucial. « Rien n’est jamais noir ou blanc. C’est à nous de savoir naviguer là-dedans. » Tiens, tiens, Michel et Julie seraient sans doute bien d’accord avec cette approche nuancée…
À L’ÉCOUTE DES DÉTRESSES
Stéphane souligne un problème majeur : l’encombrement des lignes d’urgence, qui doivent être réservées aux véritables situations critiques. Il raconte un gros accident où une quinzaine de personnes peuvent appeller le 911 en même temps, tandis que seuls cinq répartiteur·trices sont là pour répondre. À cela s’ajoutent les appels hebdomadaires qui ne relèvent pas de l’urgence. Une solution envisagée serait d’introduire un cours de sensibilisation au secondaire pour informer le public sur les situations nécessitant un appel à la police, propose Stéphane. Une autre solution serait d'améliorer l'accessibilité et la connaissance des ressources pour contrer les problèmes liés à la santé mentale, notamment la solitude. C’est là que les centres d’écoute téléphonique prennent toute leur importance.
Pour Stéphane et ses collègues, leur mission est claire : écouter, évaluer et agir. C’est un travail qui sauve des vies, souvent dans l’ombre, et qui mérite d’être reconnu.
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L’Association des Centres d’écoute téléphonique du Québec exprime sa gratitude à Stéphane* pour son engagement inestimable. 🙏
*Prénom anonymisé